1.1 Qu'est-ce que l'enseignement ?
Nous nous intéressons donc ici à l’activité d’enseignement, plutôt qu’aux enseignants eux-mêmes, en tant qu’individus. Nous nous y intéressons d’une vue qui nous paraît originale, et encore peu développée, celle des sciences cognitives, en mettant à profit des disciplines comme la psychologie et l’informatique pour mieux comprendre l’activité d’enseignement et, en retour, proposer des aides à cette dernière. Il s’agit, pour reprendre une formule de Guérin, Laville, Daniellou, Durrafourg et Kerguelen (1991) , de comprendre le travail pour le transformer.
La recherche sur l’enseignement (e.g., Gage, 1963 ; Richardson, 2001 ; Wittrock, 1986) s’est constituée en champ autonome (vis-à-vis, par exemple, de la philosophie, de la sociologie ou de la psychologie) qui s’est progressivement créé ou réapproprié ses propres paradigmes, théories, et méthodes. Cela est tout à fait légitime mais a pu engendrer une atomisation des objets de recherche rendant son objet principal – l’enseignant – de plus en plus différent d’un être humain de tous les jours. Pour notre part, nous aimerions dire qu’il serait curieux que l’enseignant ait des compétences spécifiques qui le distingueraient de ses semblables non-enseignants. Comme eux, son activité se déroule dans un environnement humain avec lequel il interagit ; comme eux, il est préférable qu’il sache prévoir et répartir intelligemment son activité dans le temps ; enfin, comme eux (du moins comme ceux qui sont parents), il est utile qu’il ait un intérêt pour l’éducation, même s’il n’est pas parent lui-même. Toutefois, deux spécificités seront considérées : la première est que l’environnement dans lequel l’enseignant travaille est un environnement dynamique ; la seconde est que l’objet principal avec lequel (ou à propos duquel) il interagit est la connaissance.
Pour étayer cet avis, nous pouvons nous référer à Newell (1990) qui liste les différentes contraintes auxquelles est confronté l’esprit humain – donc pas nécessairement celui d’un enseignant. Reprenons-en quelques-unes :
1. Se comporter avec flexibilité en fonction de l’environnement,
2. Faire preuve de comportement adaptatif (rationnel, orienté par les buts),
3. Travailler en temps réel,
4. Travailler dans un environnement riche, complexe, et détaillé,
• percevoir un très grand nombre de détails changeants,
• utiliser de vastes connaissances,
• contrôler un système moteur à de nombreux degrés de liberté.
5. Utiliser des symboles et des objets abstraits,
6. Utiliser un langage, à la fois naturel et artificiel,
7. Apprendre de l’environnement et de l’expérience, [...]
8. Travailler de manière autonome, mais dans une communauté sociale. (d’après Newell, 1990, p. 19)
Il a un objet : des modes de penser, de parler, de faire ; il a un moyen ou outil : des signes ou systèmes sémiotiques ; il a un produit : des modes transformés.
En bref, si nous partageons l’opinion de Durand (1996), qui qualifie de « singulière » la tâche de l’enseignant, nous pensons, et nous allons tenter de le montrer ici, qu’elle est mise en œuvre de manière non singulière, par le biais de processus cognitifs, outils et connaissances qui ne sont pas aussi spécialisés qu’on pourrait le penser.
Nous allons présenter ici une description psychologique de l’enseignement, circonscrite au niveau de la classe – et donc abandonnant ses manifestations à des niveaux plus larges, comme celui de l’établissement. Très schématiquement, un enseignant est confronté à deux types d’entités : des objets (physiques ou immatériels) et des événements (faisant intervenir d’autres humains, comme les élèves ou les collègues). Ces objets et événements sont perçus dans un ensemble plus vaste, appelé l’environnement. L’enseignant met en œuvre divers processus cognitifs pour faire face à ces objets et ces événements. Certains de ces objets, de plus, jouent le rôle de médiateurs. Une partie de ces objets et événements ont pour but de renseigner l’enseignant sur l’état cognitif des élèves – ils peuvent aussi renseigner ceux-ci sur l’état cognitif de celui-là. Une autre partie de ces objets et événements sont médiateurs envers la connaissance : ils permettent son accès et sa construction par les élèves et l’enseignant. Qu’est-ce donc pour nous qu’enseigner ? Employons-nous maintenant à définir cette activité de plus près.
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Cours de Ph. Dessus - UE 26 - LSE/UPMF Grenoble