1.2 Capacités cognitives fondamentales pour enseigner

Les différentes capacités qui suivent ont été exposées par Tomasello (2003) comme celles sur lesquelles est fondée l’acquisition du langage. Nous allons montrer ici qu’elles sont également le soubassement nécessaire à la mise en œuvre de situations d’enseigne¬ment/apprentissage, autant du point de vue de l’enseignant que des élèves.

 

La centration sur les intentions communicatives

Si les animaux ont développé, pour chasser ou se défendre, par exemple, de nombreux gestes de communication, ces gestes sont dirigés dans la dyade, et non spécifiquement dirigés vers des éléments non présents de la situation (intentions, symboles). L’homme a notamment développé la capacité de s’intéresser aux intentions de ses semblables, et essaie de les deviner. Cela l’engage donc dans diverses situations communi¬catives où un tiers contenu existe : le contenu de pensée de son interlocuteur. Les situations d’enseignement sont justement de telles situations de communication, dans lesquelles ce tiers est le savoir enseigné.

 

L’attention partagée

 

Ces situations de communication, pour être satisfaisantes, imposent une autre capacité importante, celle de l’attention partagée. En effet, communiquer, c’est non seulement comprendre, mais aussi agir sur les intentions d’autrui. Communiquer, c’est donc s’intéresser aux états attentionnels de ses semblables, pour les comprendre, essayer de les modifier. Une situation de communication classique (Bruner, 1983) est le « cadre d’attention conjointe », dans lequel se développe, et ce dès le plus jeune âge (9 mois), une interaction triadique entre deux personnes (ou une personne et un groupe) et un objet. Ce type d’interaction, selon Bruner, est une routine de découverte plus qu’une simple procédure de désignation, et elle est fréquemment mise en œuvre, soit entre l’enseignant et les élèves, soit entre élèves (Burns-Hoffman, 1993). Ainsi, la majorité des situations scolaires se réaliseraient bien dans un cadre d’attention partagée, l’enseignant et les élèves ayant une attention dirigée sur un même objet d’étude (i.e., situation, objet de connaissance ou matériel), et sont conscients que leurs partenaires ont leur attention dirigée au même endroit. Une des tâches de l’enseignant est donc bien de créer et maintenir un contexte d’attention conjointe.

L’apprentissage culturel

Autre capacité centrale, le fait que les humains, étant spécialement attentifs aux intentions et attentions de leurs semblables, trouvent utile et intéressant d’apparier le comportement de ces derniers avec les buts qu’ils se sont créés. Cette capacité à détecter et reproduire le comportement intentionnel de nos semblables (et seulement lui), est une capacité que les enfants acquièrent tôt (dès 16-18 mois), et rejoint la belle formule de Malrieu (1979, cité par Rochex, 1995) : « l’enfance, appel de culture »), montrant que l’on distingue des comportements intentionnels d’autres ne l’étant pas.

La sensibilité aux régularités de l’environnement.

La dernière capacité est celle de pouvoir détecter des régularités d’événements dans l’environnement. Comme l’exprime Tomasello (2003, p. 88) : « [...] si un enfant était né dans un monde dans lequel un événement donné ne se reproduisait jamais, un objet donné n’apparaissait jamais deux fois, et les adultes n’utilisaient jamais le même langage dans le même contexte, il est difficile de voir comment cet enfant – indépendamment de ses capacités cognitives – pourrait acquérir un langage naturel ». On peut même ajouter : « comment cet enfant pourrait arriver à comprendre le monde qui l’entoure » ? C’est en partie grâce à cette capacité à repérer des régularités dans l’environnement (qu’on peut nommer aussi « catégorisation ») que l’enfant peut apprendre une langue, de nouveaux concepts, ou tout simplement apprendre. Il y est aidé, dès son plus jeune âge, par son entourage qui, en marquant les segments de l’action (Bruner, 1983), lui donne des indications utiles sur « le point de départ de la segmentation sémantique primitive, le découpage d’unités » (id., p. 226). Ces indications portent principalement sur la fin des énonciations, plus difficiles à repérer, et sont l’une des premières formes d’apprentissage linguistique, et sont également utilisées régulièrement dans des situations d’enseignement/apprentissage. Sous le nom d’ « apprentissage implicite », cette capacité commence à être sérieusement étudiée en situation scolaire (Perruchet & Pacton, 2004).


 

Ces quatre capacités sont le soubassement de nos facultés d’acquisition, de communication et de compréhension. Comme les situations d’enseignement/apprentissage les sollicitent de manière centrale, elles en deviennent également le soubassement. Il est difficile de déterminer si certaines sont plus fondamentales que d’autres, et nous pouvons estimer qu’elles sont interreliées et interagissent les unes avec les autres. Par exemple, aucune culture ne pourrait exister sans la capacité d’apprentissage, qui elle même repose en partie sur la communication. D’autre part, communiquer un contenu ne peut se faire sans attention conjointe. Elles sont donc largement sollicitées en milieu scolaire, et il est surprenant que si peu d’études aient tenté d’analyser leur implication dans ce milieu.

 

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Cours de Ph. Dessus - UE 26 - LSE/UPMF Grenoble